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mardi 9 février 2010

La Tarification à l’activité déséquilibre dangereusement l’hôpital public.

La Tarification à l’activité déséquilibre dangereusement l’hôpital public.

Au moment des débats sur l’entrée en vigueur de la loi hpst, il nous semble important de revenir sur l’actuel et unique mode de financement des services hospitaliers, la tarification à l’activité.

La tarification à l’activité (T2A) est issue de l’ambitieux plan hôpital 2007 des gouvernements qui se sont succédé au cours du second mandat de Jacques Chirac.

Elle consiste en ce que chaque acte rapporte de l’argent au service hospitalier, selon un tarif fixé par l’assurance maladie . L’idée de base était de sortir de la logique de moyens jugée trop onéreuse : à savoir le financement des services hospitaliers sous forme d’une « enveloppe » globale annuelle(calculée en fonction des dépenses des années précédentes, du nombre de lits (donc du personnel à disposition), du coût du matériel médical, des médicaments…); au profit d’une logique de résultats « l’hôpital ne coûte plus, il rapporte », auparavant expérimentée dans le secteur privé .

La tarification à l’activité peut se justifier dans certains cas d’actes techniques très codifiés qui ne varient pas beaucoup (actes de type chirurgicaux ou radiologiques), mais est inadaptée dans la majorité des autres autres actes médicaux tels la réanimation, la pédiatrie, les maladies chroniques, les pathologies complexes, les maladies rares et orphelines, ou en recherche. Par une série d’exemple, nous allons venir point par point aux inconvénients et risques de la t2a : abandon de pans de la médecine au privé, laissant à l’hôpital publique les cas difficiles (sans spécialement lui en donner les moyens financiers), prise de risques inutiles pour le patient, dégradation de la qualité des soins par pression sur le personnel soignant .

Le fossé public-privé

Prenons l’exemple d’une pose de prothèse de hanche. C’est un acte extrêmement fréquent, donc des équipes très entrainées savent le faire très bien et très rapidement, certains parlent de travail à la chaîne . Comme le secteur privé peut sélectionner ses patients (liberté du choix du patient, l’un des principes de la médecine libérale) alors que la médecine hospitalière se doit de prendre en charge tout le monde (c’est un service public), ce genre d’actes devient phagocyté par le secteur privé. Dans la logique d’entreprise qu’a l’esprit de la T2A, cela entraîne un manque à gagner pour le secteur public puisque le « marché des prothèses de hanche » part principalement aux cliniques . C’est ainsi que sur le classement du Point des meilleurs établissements pour la prothèse de hanche , dans les dix premières places, 5 sont des cliniques donc du secteur privé (alors que sur le classement général des meilleurs hôpitaux de France, deux cliniques apparaissent dans les 50 premières places).

Revenons à notre prothèse de hanche, mais cette fois dans le cas d’une femme âgée présentant par ailleurs d’autres maladies comme le diabète, l’hypertension artérielle avec insuffisance rénale et (allons-y fort) une insuffisance cardiaque. Il y a de fortes chances que la personne fasse un séjour en réanimation après l’anesthésie, ce qui nécessite des soins plus complexes et une opération plus risquée entraînant des complications incompatibles avec une logique d’acte à l’heure. Cette opération sera d’avantage prise en charge à l’hôpital public qu’en clinique, suivant le schéma énoncé plus haut. Car bien que payés, il est plus difficile de rentabiliser le personnel, pour ces actes qui subissent le hasard de la nature humaine et non le côté itératif d’opérations à la chaîne cadrant avec la volonté de gain de temps et d’argent d’une logique de résultats.. L’hôpital public gagne beaucoup moins d’argent pour le même nombre de patients.

Les dérives possibles

Parallèlement au risque de creuser un fossé entre le domaine public et le domaine privé, on assiste fréquemment à des dérives liées directement au principe de tarification à l’acte. En effet, certaines pathologies dont la prise en charge médicale ou chirurgicale est en discussion seront plus aisément orientés vers une prise en charge rapportant plus, pour des raisons financières. Une étude de 2003 publiée dans la revue économique des presses de science-po montre que que les établissements privés, déjà financés à l’acte, pratiquaient significativement plus d’accouchements par césarienne que les établissements du service public, financés par enveloppe globale, toute chose étant égale par ailleurs. Or la césarienne n’est pas dénuée de risque pour la patiente (risque infectieux, risque hémorragique …), donc en plus d’utiliser l’argent des cotisants pour des actes non justifiés médicalement, on fait prendre un risque pour la patiente. Mais le service gagne plus d’argent.

Par ailleurs, la logique d’entreprise à l’hôpital a aussi pour conséquence une augmentation de la pression sur le personnel paramédical et médical. En effet, on demandera plus d’actes pour un même temps de travail, le personnel de soin devant ainsi faire plus rapidement certaines choses (quand il n’en deviendrait pas contraint faute de temps d’en faire l’impasse). Pour ne prendre qu’un exemple représentatif, il se pourrait que le personnel passe un peu moins de temps à se laver les mains, ce qui pourrait favoriser un peu plus la survenue d’infections nosocomiales (des maladies liées aux conditions d’hygiène sur le lieu de soin). Or ces infections augmentent en moyenne de 2 jours la durée d’hospitalisation, exposent le patient à un risque de septicémie (germes hospitaliers parfois résistants) et coûtent énormément à l’assurance maladie ! Et voilà le serpent d’Asclépios qui se mord la queue! Trop de pression voulue par une démarche de rentabilité conduit à d’infimes petites prises de risques qui engendreront par leur multiplication un surcroit de travail et finalement de coût pour la société et le patient.

Enfin, prenons pour dernier exemple quelque chose auquel nous seront tous confrontés et regardons du côté des soins en fin de vie : 80% des Français meurent à l’hôpital . On a donc inventé un tarif spécifique pour ces soins dits “palliatifs” qui se décompose comme suit : si le patient meurt avant minuit, le service touche 800 euros alors que s’il reste 15 jours, ce chiffre passe à 8000 euros et s’il reste plus encore, le forfait reste à 8000 euros. De là à en déduire que ni la mort trop rapide ni la mort trop lente ne sont pas “rentables”, il n’y a qu’un pas que je ne franchirais pas, mais comment douter que personne un jour ne le fasse, sous le coup d’une pression administrative et budgétaire trop importante, avec toutes les dérives que cela peut engendrer?

En somme pour toutes ces raisons, on comprendra en quoi ce système de financement conforte l’hôpital public dans des déficits chroniques, mais apporte en plus un facteur de dangerosité lié à la pression sur les actes. La T2A ne peut et ne doit pas constituer le seul mode de financement de l’hôpital. La logique de résultats n’est pas adaptable à la santé en général, la logique de moyens est la seule qui soit acceptable. Et bien loin d’être une réponse à l’augmentation des dépenses de santé, la T2A est une mine d’or pour le secteur privé.

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