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samedi 28 février 2009

Performance hospitalière / sécurité des soins : deux objectifs antinomiques ?


janvier 2009, par Chauvancy Marie-Claire

Rompant avec une histoire fondée sur une logique de moyens, la gestion hospitalière est entrée dans une logique de résultats, dont les maîtres mots sont gouvernance et performance. Inspirée du management des entreprises, cette logique a en principe de nombreux effets positifs, comme l’évaluation et le partage des décisions au sein des directions hospitalières. Mais cela ne doit pas faire oublier que l’efficacité de l’hôpital vient aussi des valeurs éthiques de son personnel.

A la fin du XXème siècle, l’hôpital a connu de profondes mutations. Le contexte économique difficile, l’évolution des mentalités, le consumérisme, les différents scandales médicaux ont remis en question son efficacité et son mode de fonctionnement, l’obligeant à s’ouvrir sur l’extérieur.

Cette évolution a eu pour conséquences des changements au sein de son organisation, visant à moins de rigidité, plus de concertation, un décloisonnement des services, une adaptabilité externe associée à une maîtrise des demandes.

Une « nouvelle gouvernance » inspirée de la gestion des entreprises

Ces changements de l’organisation hospitalière se sont progressivement imposés au cours des différentes réformes hospitalières réglementant le secteur, qu’il s’agisse de la loi portant réforme hospitalière du 31 juillet 1983 (contrôle budgétaire au travers de la dotation globale), de la loi portant réforme hospitalière du 31 juillet 1991 (qui intègre les notions d’évaluation, de planification hospitalière, de décentralisation, de concertation et de contractualisation au travers du projet d’établissement), des ordonnances de 1996, de la loi du mars 4 mars 2002, de la réforme de modernisation des établissements de santé intitulée « l’hôpital 2007 » et de l’ordonnance N°2005-406 du 2/05/2005 (dernier volet de la modernisation des établissements de santé), qui instaurent la mise en place des pôles d’activité, la tarification à l’activité et introduisent la notion de nouvelle gouvernance.

La notion de gouvernance apparaît dans les années 1970. La gouvernance est une façon de gouverner, une nouvelle forme de gestion fondée sur une logique d’entreprise.

L’origine du mot est anglaise : « governance » ; elle renvoie à l’idée de piloter, de guider, de diriger.

Cette application de la bonne gouvernance s’accompagne, au travers des textes législatifs, d’une redéfinition des rapports entre pouvoir public et administrés. Ces derniers passent du statut de citoyens à celui d’usagers, de clients ou de consommateurs.

Un pouvoir partagé autour de la notion de contrat

La gouvernance introduit la notion de pouvoir partagé, afin de résoudre les problèmes de coordination des actions collectives, dans un environnement incertain et en mutation, au sein duquel évoluent des individus aux intérêts et aux logiques différents.

Y est associée également l’idée de coordination basée sur un contrat ou un projet commun.

La nouvelle gouvernance est un nouveau mode de gestion des organisations hospitalières, basé sur un contrat et une participation effective des personnels de terrain dans la prise de décision.
Si la contractualisation n’est pas en soit une nouveauté (ordonnances Juppé), le législateur, en définissant réglementairement les pôles, a enclenché un nouveau mode de gestion interne reposant sur :
- un contrat d’objectif et de moyens,
- une autonomie de gestion,
- une responsabilité partagée,
- une gestion de budget.

La contractualisation introduit un nouveau mode de management basé sur le principe d’une gestion décentralisée. Le contrat permet aux acteurs une marge d’autonomie dans la gestion de leurs services, une redéfinition des rôles et des responsabilités des acteurs décisionnaires, une implication dans le choix et les prises de décisions.

Le terme de contrat remet en cause le lien de subordination. Il introduit une transformation dans la relation avec la hiérarchie. Le lien de subordination basé sur le statut étant remplacé par un lien contractuel introduit une notion de réciprocité dans l’atteinte des objectifs, les deux parties étant partie prenante au contrat. Le contrat devient ainsi un outil de management de l’organisation hospitalière, une technique de gestion participative.

Une logique de résultats fondée sur des objectifs

La nouvelle gouvernance instaure un nouveau mode de fonctionnement des organisations hospitalières. L’hôpital doit maintenant justifier, dans le contexte de la Tarification à l’Activité (T2A - loi du 18 décembre 2003) de son activité.
La logique de moyens a cédé le pas à une logique de résultats.

C’est avec la LOLF (Loi relative aux lois de finances) que l’’État français a intégré cette notion de logique de résultats : en « contrepartie de la définition d’objectifs assortis d’indicateurs permettant de mesurer les résultats obtenus » (1) que les parlementaires vont allouer aux différents ministères des enveloppes globales.
La définition des objectifs et la mesure des résultats obtenus doivent permettre une meilleure lisibilité de la dépense publique. Cette lecture plus transparente autorise maintenant une meilleure répartition dans l’allocation des deniers de l’État en terme d’efficacité et d’équité.

Cette même définition d’objectifs est demandée aux établissements de santé. C’est au travers de leurs projets d’établissement et des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens passés avec les ARS (Agences régionales de santé) qu’ils les définissent. Ce contrat, répondant aux objectifs de la politique sanitaire définie par l’ARS, est un véritable engagement de l’établissement de santé envers sa tutelle.

Cependant, l’hôpital doit non seulement répondre aux objectifs globaux définis par la politique sanitaire, mais également aux besoins des patients (ses clients), aux attentes de ses employés, de ses financeurs et, de façon plus générale, à celle des citoyens.
Il doit combiner son activité à la qualité de la prise en charge dans ses dimensions techniques, médicales, de soin et organisationnelles.
Réussir la bonne alchimie du juste équipement, de la juste compétence, de la juste gestion et /ou de la juste information n’est pas chose facile.

Une politique fondée sur la performance

Si l’hôpital moderne a intégré une approche économiste de « soin », son mode de fonctionnement est différent de celui des entreprises même si certaines démarches peuvent lui être adaptées (les démarches qualité ou de gestion). Sa « matière première » est humaine. La qualité du service rendu est humain-dépendante, le facteur « aléa » est loin d’être négligeable dans ce domaine.

Par ailleurs, il ne dispose pas des mécanismes de marché traditionnels pour évaluer sa position « économique » au sein du système de santé.

Dans un contexte plus procédurier et de restrictions budgétaires, l’hôpital est contraint de s’interroger sur sa performance. Si la performance vise à un résultat, à une qualité de service rendu et à l’efficience, alors l’hôpital doit répondre de l’utilisation au mieux de ses ressources, de l’optimisation de leur gestion afin de limiter les dépenses tout en garantissant aux patients sécurité et qualité des soins.
Les critères de performance hospitalière peuvent être définis comme suit : • des soins de qualité au moindre côut, • des ressources allouées aux soins utiles, • des soins accessibles à tous ceux qui en ont besoin.

La mesure de la performance hospitalière se trouve justifiée : • pour le ministère, car elle permet de planifier et d’allouer équitablement les ressources en fonction des besoins, • pour l’hôpital, car la mesure des résultats va permettre d’évaluer les actions entreprises, de les adapter si besoin et de justifier les orientations stratégiques, • pour le personnel, au travers de la reconnaissance du travail fourni qui devient un facteur de motivation, • enfin pour les patients, qui verront, par cette évaluation continue des résultats, un facteur de crédibilité de l’hôpital.

Les gestionnaires hospitaliers se retrouvent donc face à de nouvelles problématiques, déjà connues du monde de l’entreprise, celles du pilotage de la performance et de la gestion logistique dans un objectif de création de valeur.
Ces derniers vont donc utiliser les mêmes outils de management de la performance que ceux utilisés par le monde de l’entreprise, qu’ils vont adapter à leurs besoins spécifiques.
Indicateurs, tableaux de bord, pilotages financiers font leur entrée à l’hôpital
La question se pose maintenant de savoir, au regard des événements dramatiques de cette fin d’année qui ont touchés les établissements de soins, si cette politique de performance appliquée aux établissements de santé est adaptée.

La diffusion de l’information, la mise en œuvre de démarches de qualité et de gestion des risques, la gestion en terme d’analyse stratégique, ont permis à l’hôpital de s’engager dans un processus de modernisation de son mode de fonctionnement, et rendre ainsi l’hôpital « plus transparent ».

La vraie richesse de l’hôpital : son personnel

La situation dramatique vécue à la suite des décès survenus durant les fêtes (2008) ont permis de soulever les dysfonctionnements dans les processus des soins portés aux patients. Cette quête de recherche des causes a pour finalité non de sanctionner, mais d’éviter que de tels drames se reproduisent.
En ce sens, en introduisant la transparence dans la gestion hospitalière, la recherche de la performance a permis une désacralisation de l’hôpital et, de fait, plus de lisibilité dans ses pratiques.

Si l’hôpital ne fait plus recette, s’il n’est plus attractif pour les professionnels, au vu du manque de reconnaissance financière et de l’importance des responsabilités, il peut s’enorgueillir d’avoir en son sein du personnel motivé et compétent et par sa politique de gestion d’avoir rendu plus sécurisés et efficients les soins qu’il dispense.

Avoir connaissance de ce qui se fait maintenant dans les établissements de santé (connaissance des objectifs, des ressources et des activités) est le signe de la fin d’un obscurantisme de gestion qui, sous couvert de propos corporatistes du type « je sauve des vies, la santé est un bien porteur de valeurs » a pendant longtemps profité des largesses financières de l’État sans avoir à justifier l’allocation de ses budgets. Le bon sens populaire n’était-il pas d’affirmer, à une époque pas si lointaine, qu’à l’hôpital rien ne « transpire » !
Aujourd’hui l’hôpital peut s’enorgueillir de pouvoir s’appuyer sur des personnes de terrain et des équipes d ’encadrement compétentes, responsables et porteuses de valeurs humaines et éthique qui lui font honneur.
Arrêtons de tirer sur l’ambulance, et de pointer du doigt des professionnels en les présentant comme les seuls responsables du malaise des hôpitaux.
La maîtrise des dépenses de santé au travers la « chasse au gaspi », certes. La nouvelle gestion hospitalière : un créneau.
Cependant il faut garder à l’esprit que la santé est un « Bien » particulier auquel les principes de rentabilité et de production sont difficilement applicables.

(1) La démarche de performance : Stratégie, objectifs, indicateurs. Guide méthodologique pour l’application de la loi organique relative aux lois de finances du 1 août 2001.

Le numéro de septembre 2008 de la revue de l’Assurance maladie, Pratiques et organisation des soins , est consacré à la gouvernance clinique (téléchargeable depuis le site).

Marie-Claire Chauvancy a publié dans Carnets de santé : Cadres de santé : une crise identitaire (décembre 2008)




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hôpital éthique T2A gouvernance
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1 Message

  • La gestion de l’Hôpital tel que l’ont vu venir les industriels, aura des conséquences que ces derniers ont déjà connus et dont les répercussions sont graves. la sous traitance et l’économie du service au plus rentable, s’accompagnent de déboires.

    Les industries telle la chimie en ont fait les frais. Tel le dramatique accident de Toulouse où de nombreuses questions ont été posées autour d’un service de sécurité défaillant. Ce qui peut s’appliquer à EDF, au niveau des centrales nucléaires, ou encore dans les services de radiologie ou d’IRM, on peut encore annoncer une catastrophe.

    Les Missions confiés à des sous traitants qui fonctionnent de façon très économes, avec des personnels en CDD, parfois sous qualifiés, amènent à rencontrer les erreurs de tout travailleurs novices ou inexpérimentés. Ou encore une situation professionnelle où une pression majeure s’exerce, ce qui pousse l’agent à la précipitation et à l’erreur humaine inéluctable.

    A vouloir transformer le personnel hospitalier en automate, on frise le délire et les atteintes à la santé des usagers mais aussi des soignants eux même. La reconnaissance de la pénibilité qui nous est maintenant refusée, coïncide avec une vision comptable de l’entreprise mais ne colle pas à la responsabilité énorme des professionnels à qui on impute une pression de travail des plus exigeantes.

    Beaucoup de salariés de l’Hôpital recourt maintenant au médecin du travail pour dénoncer le stress au travail dans un soucis de productivité. La souffrance au travail est grande, les agents multiplient les incidents, accidents de travail, dépression et maintenant on dénonce les fautes graves qui existent depuis longtemps quand l’acte se précipite, au delà de la pensée.

    Nous devons RESISTER, soignants et usagers contre cette nouvelle gouvernance qui veut la rentabilité. Nous pouvons lancer "A LA TAQ", car la tarification A La Qualité aura bien plus de bénéfice que la tarification à l’activité. L’humain a besoin de rencontrer dans le soin un autre humain pour permettre de supporter l’acte technique et ses effets délétères. Il nous faut lutter pour maintenir le soin et ne pas transformer l’HOPITAL en outil de productivité. En maternité c’est un drame de faire le choix de la quantité au détriment de la qualité, là ou le maintien en santé de l’usager qui vient donner la vie passe par le minimum d’actes tarifiés. Il faut là le maximum d’humanité qui permet de créer un environnement favorable à l’établissement de la relation mère enfant, au démarrage de l’allaitement maternel premier acte de prévention du Plan de nutrition santé !

    Défendons l’Hôpital de proximité, et luttons contre les pôles énormes qui donnent un abord déshumanisé et font fuir les patientes vers l’accouchement à domicile.

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