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lundi 15 mars 2010

L'accès aux soins psychiatriques est devenu un système inéquitable

doptée en 2009, la loi Hôpital patients santé territoires (HPST) va entrer en vigueur. Elle comporte des dispositions nouvelles dont la création des Agences régionales de santé (ARS). L'esprit de la loi cherche à instaurer une louable cohérence entre l'offre de soins, le médico-social et la prévention. Il est une spécialité médicale pour laquelle le "t" de territoire revêt une importance primordiale, c'est la psychiatrie. Il s'agit de la seule discipline qui, au travers de la circulaire du 15 mars 1960 ayant instauré la sectorisation il y a cinquante ans, positionne l'hôpital public à la tête d'un maillage géographique.


Ce réseau vise à amener les compétences au plus près des demandes de soins par le biais des centres médico-psychologiques (CMP) et des hôpitaux de jour. Comme toutes les autres disciplines, en revanche, la psychiatrie prend en charge les demandes de soins grâce aux deux systèmes qui se veulent synergiques et complémentaires, la psychiatrie libérale et la psychiatrie publique. C'est là que le bât blesse.

Le propos n'est pas ici d'opposer les acteurs des deux formes d'exercice, il est de montrer que, dans les conditions actuelles de régulation par l'Etat, ce système bicéphale est inéquitable pour la population de notre pays. La réorganisation des secteurs devient une nécessité urgente, mais elle ne peut résumer à elle seule les solutions pour faire face à la demande de soins. Les dépenses de soins pour troubles mentaux représentent en volume le deuxième motif des dépenses de santé en France. Ces questions surviennent alors qu'il y a une baisse importante du nombre de jeunes qui se dirigent vers cette spécialité. Entre 2008 et 2009, 36 départements ont connu une perte d'effectif psychiatres. Quelque 62 % des psychiatres en exercice ont plus de 50 ans.

En termes d'analyse des politiques publiques, le débat sur la psychiatrie est indissociable de la notion d'inégalités sociales de santé. C'est-à-dire du fait que l'espérance de vie et le risque de mortalité prématurée évitable sont variables selon les catégories sociales et les revenus . Dans cette équation inégalitaire, les hommes sont plus exposés que les femmes. Trois mécanismes principaux conduisent à ces inégalités. Selon la catégorie socio-économique d'appartenance, les personnes ne sont pas exposées aux mêmes risques, sont plus ou moins informées (école, lectures...) sur les comportements favorables ou défavorables à leur santé et, enfin, consultent plus ou moins tard. Si bien que le degré d'évolution de la maladie étant différent au moment du diagnostic, le pronostic sera plus grave.

Or l'analyse des territoires révèle des inégalités flagrantes dans la répartition spatiale des médecins libéraux en général et des psychiatres libéraux en particulier. Les médecins généralistes, autres acteurs de première importance dans la prise en charge des pathologies psychiatriques, connaissent le même phénomène de répartition. Les situations de ces deux catégories de médecins sont liées, elles soulèvent la question de la médecine de premier recours.

Dans la plupart des départements, l'offre de psychiatrie libérale est concentrée sur les centres urbains et les centres-villes. De telle sorte que les zones rurales, comme les périphéries des villes, sans parler des zones urbaines sensibles, sont dépourvues de telles compétences en activité libérale.

Certes les psychiatres libéraux sont installés en zones commerçantes bien desservies. Toutefois, les profils médicaux des personnes prises en charge par ces praticiens, leurs horaires de travail, les outils thérapeutiques utilisés et leur implication effective dans la gestion des urgences concourent à laisser l'essentiel de la réactivité face aux situations de crise aux praticiens des hôpitaux. Il faut cependant admettre que leur mode d'exercice rend difficile une prise en charge adaptée aux situations aiguës.

Cette dissymétrie aboutit à renforcer des entraves qui se cumulent et que la psychiatrie publique a vocation à rééquilibrer. Car dans ces territoires délaissés le déni de la maladie, mécanisme fondamental dans la maladie psychiatrique, se rajoute à la stigmatisation d'avoir à aller chez les médecins des fous, et à la distance. Dans un certain nombre de cas, l'hospitalisation sous contrainte sera la démarche unique d'entrée, ou de retourner dans le système de soins, pour un certain nombre de patients isolés. Avec son cortège de violence et les questions qu'elle soulève vis-à-vis du respect des libertés individuelles.

Il y a quelques années ont émergé des mesures qui se voulaient au service de plus de "démocratie sanitaire", dont la mise en place des conférences régionales de santé. Il s'agissait à travers ce mécanisme de donner la parole à des citoyens et à des associations pour faire émerger des priorités d'intervention au niveau des régions. Participer à élaborer un diagnostic sur un territoire constituait une forme de progrès, même si la pratique est venue nuancer le dessein de départ. La loi HPST est assez imprécise sur la place qu'elle accordera à ces conférences, élargies pour la circonstance aux questions d'autonomie.

Mais en matière de démocratie pouvons-nous encore faire l'économie de participer aux discussions sur l'organisation de l'ensemble du système de santé et sur les allocations de ressources ? Le citoyen lambda, comme le professionnel de santé, comme le responsable d'association, comme l'élu local n'a-t-il pas son mot à dire concernant le nombre de spécialistes dans chaque discipline, leur répartition entre public et privé, la régulation des pratiques des professionnels à honoraires libres, leur répartition sur le territoire national et au sein de chaque région ? Ne peut-il avoir une opinion sur la participation de chaque professionnel aux urgences et à la permanence des soins ? Ne sommes-nous pas tous concernés par l'accès aux soins psychiatriques en milieu rural, des vieux en établissements d'accueil ou à domicile, des enfants dans les quartiers en difficulté, des SDF ?

Une politique publique de psychiatrie peut-elle maintenir un système qui fait reposer sur une partie de ses acteurs, les hospitaliers, la responsabilité sociétale vis-à-vis de l'ensemble des populations et des territoires ? Quelle est cette politique qui ne réaffirme pas la priorité pour les dispositifs destinés aux plus vulnérables ? Ceux qui participent d'une forme de "rattrapage social". La santé scolaire, la médecine du travail, la psychiatrie publique. Sur les 11 600 psychiatres pour adultes qui exercent en France, 44 % travaillent en milieu hospitalier. Il ne s'agit pas d'une position partisane ou dogmatique. Il s'agit d'une approche de bon sens d'une santé publique qui se veut au service de davantage d'équité sociale.

Périodiquement, des événements dramatiques viennent interroger la société et son système de soins dans leurs relations avec les personnes atteintes de maladies mentales graves. Les responsables politiques se livrent alors à des déclarations aussi guerrières que culpabilisantes pour les professionnels de première ligne dans leur ensemble.

Ces derniers connaissent les contraintes, les horaires, les postes vacants, la réalité et le poids des pathologies qu'ils accompagnent. Le vrai courage est là, quotidien et invisible pour les caméras qui retransmettent les jugements lapidaires. C'est le courage des équipes. On attend les mesures concrètes que ces constats imposent. Parmi ces mesures, une analyse réelle des besoins des territoires est nécessaire pour faire évoluer la sectorisation sur des bases objectives. Il faut aussi instaurer une véritable complémentarité entre psychiatrie publique et privée. Il faut enfin réguler la répartition entre psychiatres hospitaliers et libéraux. Les Agences régionales de santé devront être les effecteurs de cette volonté, comme l'a affirmé le président de la République à Laon le 2 mars. Cela suppose qu'on leur en donne les moyens. Ce courage-là est politique.


Pierre Micheletti est médecin, professeur associé à l'Institut d'études politiques de Grenoble ;

Pierre Murry est psychiatre, praticien hospitalier, président de la commission médicale d'établissement du centre hospitalier spécialisé Alpes-Isère.

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