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samedi 30 janvier 2010

Vaccination : l'échec à méditer, par Gérard Bapt

'échec attendu est désormais avéré : tandis que l'Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) et le réseau GROG (groupes régionaux d'observation de la grippe) décrètent la fin de l'épidémie de grippe A, ce n'est qu'un peu plus de 5 % de la population qui ont été vaccinés... "On a besoin de vous !" déclare Roselyne Bachelot dans un appel au secours aux médecins généralistes, tout en restant inflexible sur le bien-fondé du déclenchement de la première vaccination de masse en période d'épidémie ; en restant inflexible, aussi, sur le choix d'une gestion totalement étatique de la crise sanitaire. En écartant l'ensemble des acteurs de santé, fidèle à sa conception de "médecine sans médecins" qui a déjà présidé à la réforme de l'hôpital et des agences régionales, Mme Bachelot – et au-delà l'ensemble du gouvernement, jusqu'à l'Elysée – a placé l'Etat dans une position de faiblesse devant les laboratoires, mais aussi dans une application mécaniste du "principe de précaution" lourde de conséquences pour l'avenir.


L'échec du gouvernement est d'abord économique, avec la dépense la plus importante pour la plus faible part de population vaccinée. Cet échec est aussi moral : comment donner une dimension éthique à des commandes de vaccins d'un niveau tel qu'elles auraient pu priver d'autres pays, plus pauvres, du minimum nécessaire ?

Au-delà du fiasco de la communication et de la gestion gouvernementales dans cette période de crise, deux questions doivent faire l'objet d'une analyse critique ouverte à la société dans son ensemble : quelle stratégie vaccinale est à mettre en œuvre face à la prochaine pandémie virale ? Et comment expliquer la décision politique, pour entraîner l'adhésion de la population ?

1. Le choix d'une vaccination de masse concernant l'ensemble de la population se serait imposé au nom du "principe de précaution" : que nous aurait-on reproché si nous n'avions pu vacciner tous les volontaires, cette grippe entraînant des milliers de morts ? répètent les ministres.

Notons d'emblée que, au moment où les 94 millions de commandes fermes ont été signées, en juillet, avec une option jusqu'à 130 millions de doses, l'incertitude régnait sur le nombre d'injections nécessaires : une seule, comme pour la grippe saisonnière, ou deux ? Une prudence élémentaire aurait alors dû conduire à passer des commandes à option, pour s'adapter à la future prescription...

Mais surtout, les enseignements à tirer du passage de la grippe A dans l'hémisphère Sud n'ont pas été tirés. Car après l'apparition de la maladie, à la mi-avril au Mexique, le pic épidémique a été vite atteint en deux à six semaines, et la mortalité est apparue moins élevée que pour une grippe saisonnière, avec un taux inférieur à 1 pour 100 000. Surtout sont apparues les populations cibles – enfants, jeunes adultes, femmes enceintes, personnes souffrant de maladies chroniques – les deux tiers des cas cliniques se manifestant entre 0 et 16 ans. Dans ces conditions – grande contagiosité, faible mortalité –, une vaccination ciblée, mieux praticable, atteignant une grosse proportion du public ciblé aurait été plus efficace que l'affichage d'un objectif utopique vite apparu inutile... L'objectif de vaccination attendue est évidemment une question centrale conditionnant le nombre de vaccins à commander. La mission parlementaire sur la grippe aviaire avait indiqué, en 2006, que le développement d'une pandémie pourrait être enrayé par la vaccination du tiers de la population. Pourquoi sur la base de ces travaux et de la pathogénicité du virus A(H1N1) connue dès l'été dernier, avoir persisté pour la vaccination de toute la population ?

Il est aujourd'hui impossible de trouver un de ces "experts", invoqués par la ministre, qui assume ce choix : la décision a été politique, de l'Elysée et du gouvernement, au nom d'un "droit d'accès au vaccin" et d'une application du principe de précaution le transformant en protection politique... et juridique !

2. La question de la confiance
Pour obtenir l'adhésion d'une population à une stratégie publique face à une crise sanitaire, susciter la confiance est nécessaire : celle-ci a manqué, y compris chez les professionnels de santé. Deux raisons en sont de responsabilité gouvernementale : sa communication, catastrophiste au départ, puis incohérente et souvent contradictoire ; et son erreur d'écarter de la vaccination la médecine de premier recours, déstabilisant l'instrument principal de médiation vers la population.

En écartant de surcroît la création d'une mission d'information au début de la crise, le pouvoir s'est privé d'une interface parlementaire qui avait pourtant fait ses preuves, lors de la menace de grippe aviaire, en pointant les réalités de terrain, qu'elles soient organisationnelles ou psychologiques.

Vouloir gagner la confiance dans des pays à haut niveau d'éducation et à l'heure d'Internet, c'est aussi poser la question de l'expertise, de son indépendance, de sa transparence, en ne fuyant pas la contradiction chez les scientifiques. Cette approche débute par la condition "sine qua non" que tout conflit d'intérêt soit évité, ou clairement assumé. Elle conduit dans un second temps à faire du "principe de précaution" un processus délibératif ouvert sur la société. En contexte d'incertitude, une rationalité politique ne peut apparaître crédible que si tous les paramètres ont été analysés, après débat contradictoire entre "experts".

Ce débat public n'a pas eu lieu, certains scientifiques et médecins se plaignant d'avoir été délibérément écartés, tandis que plane sur d'autres la suspicion de conflit d'intérêt.

La question de l'expertise n'est pas seulement française, même si par ailleurs la fusion en cours de l'Afssa (Agence française de sécurité sanitaire des aliments) et de l'Afsset (Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail) lui donne une actualité institutionnelle immédiate. Elle est aussi européenne, avec le refus de l'Agence européenne du médicament de publier les dossiers de "conflit d'intérêt" de ses experts, et internationale, avec le refus de l'OMS de publier la liste de ses experts pour la grippe !

S'appuyer sur une expertise crédible sera la condition de succès des stratégies publiques futures face aux pandémies de l'ère de la mondialisation et de la métropolisation.

Gérard BAPT est député (PS), rapporteur spécial de la "mission santé" pour la commission des finances

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