
Comment est-on passé de l'hôpital "service public" à l'"hôpital entreprise" ? La réponse est simple : en appliquant au système de santé français les méthodes utilisées en Amérique du Nord depuis les années 1980, et en particulier la tarification à l'activité (T2A), qui a entraîné un changement majeur dans le fonctionnement de l'hôpital. A chaque pathologie correspond un code qui permet de regrouper les patients par un logiciel en "groupes homogènes de séjours (GHS)". A chaque GHS correspondent une durée "idéale" de séjour et une tarification. Un séjour trop court ou trop long équivaut à une perte financière pour le service, car l'hôpital est payé après la sortie du malade en fonction des codages.
Ce système est responsable depuis sa mise en place d'une multiplication des séjours, d'une incitation au tri des malades et d'un transfert trop rapide en soins de suite alors que le diagnostic n'est pas fait et le malade toujours instable. Malgré les dangers de ce système dénoncés par de nombreux médecins, le financement des hôpitaux est quand même passé en 100 % T2A en janvier 2008, sans qu'il y ait jamais eu d'étude sur les conséquences que cette course à l'activité pourrait avoir pour le service public. Dans un avenir proche, la T2A devrait aussi concerner, en plus du court séjour, les soins de suite et la psychiatrie.
Pourtant, les dérives de ce type de tarification ont bien été signalées. Ainsi, dans un avis du Comité national d'éthique du 7 novembre 2007, il est noté que la situation de l'hôpital "a pour conséquence de déboucher sur un primat absolu donné à la rentabilité économique, au lieu de continuer à lui conférer une dimension sociale". Et que la T2A "s'adapte mal à la prise en charge des maladies chroniques, des soins de suite, des soins palliatifs, des personnes âgées ou des enfants malades, ou encore à la reconnaissance des actions de prévention, car elle ne prend pas en compte le temps passé auprès du malade pour l'écoute et l'examen clinique approfondi". De même, le rapport du député UMP André Flajolet d'avril 2008 signale que la T2A a aggravé les inégalités de santé avec "un risque de dérive de l'activité dans les hôpitaux au regard des besoins réels de santé de la population et des personnes les plus fragiles".
L'exemple le plus absurde de l'utilisation de la tarification à l'activité est son application aux soins palliatifs, dont la spécificité de la prise en charge est que la durée de séjour et le volume de soins nécessaires sont très hétérogènes. Du fait de la T2A, les unités de soins palliatifs sont obligées de trier les malades pour ne prendre que ceux dont l'espérance de vie est supposée être supérieure à 2 jours et inférieure à 35 jours ! Tous les autres sont refusés. Pour faire face à ce système absurde, ces services sont obligés de transférer ces malades en fin de vie dans un autre service avant de les reprendre !
Selon Martine Aoustin (directrice de la mission T2A au ministère de la santé) une nouvelle classification est en cours d'élaboration, qui "devrait en partie améliorer la situation". Mais en toute logique, en ce qui concerne les soins palliatifs, il ne devrait pas y avoir de tarification à l'activité ni de durée minimum ou maximum de séjour. En effet, comment peut-on à la fois promouvoir les soins palliatifs et permettre leur tarification à l'activité ? L'absurdité du système a encore été aggravée par la mise en place des pôles et des chefs de pôle. Ces "supermandarins" sont plus des chefs d'entreprise que des médecins. Avec la délégation de gestion, ils doivent s'occuper de tout et faire des choix : quelles chambres vont être repeintes cette année ? Peut-on remplacer l'appareil à ECG qui ne fonctionne plus, ou faut-il acheter des appareils à tension ? Quels postes faut-il supprimer pour répondre aux plans d'économie ?
On voit bien les dangers d'un tel système : si les dépenses ne peuvent que progresser chaque année, les recettes ne peuvent augmenter qu'en faisant de plus en plus d'activité. On en arrive à sélectionner les activités rentables et à trier les malades. Le système ne fonctionne plus sur des critères médicaux, mais sur des critères économiques. Même les présidents des comités consultatifs médicaux de l'APHP, qui ont pourtant soutenu la mise en place de cette nouvelle "gouvernance", ont fini par s'en rendre compte, et ont envoyé en novembre 2008 une lettre ouverte à Mme Bachelot : "La place n'est plus aux réorganisations et regroupements médicalement utiles et intelligents, aux investissements sur des projets prometteurs, la place est aux économies à court terme et à tout prix, soumises à une vision financière la plus drastique qui soit".
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