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dimanche 3 avril 2011

Le démantèlement de l'hôpital public

Nous savons tout l'attachement que portent les habitants à leur hôpital, service public le plus apprécié des Français et pierre angulaire de notre système de santé. Or, force est de constater qu'il se trouve aujourd'hui à la croisée des chemins, d'une part devant évoluer pour faire face à de profondes mutations sanitaires et sociales, d'autre part confronté à un démantèlement rarement vu auparavant. Situé en plein cœur de Paris, l'Hôtel-Dieu, qui accueille annuellement 120 000 urgences et 350 000 consultations (60 % des consultants venant d'Ile-de-France, hors Paris) illustre de façon particulièrement emblématique cette situation.

Pour s'adapter et promouvoir la médecine du XXIe siècle, l'hôpital public se doit d'opérer une mutation. La chronicisation de certaines maladies comme le cancer, l'apparition de nouveaux traitements, le vieillissement de la population, le développement important de certaines pathologies, diabète, obésité, sont autant de bouleversements qui appellent de nouvelles prises en charge et impliquent une vaste réorganisation de l'hôpital. Face à ces évolutions, la prise en charge des personnes dans leur cadre de vie et le développement des soins ambulatoires, gages de la réduction des hospitalisations conventionnelles, sont autant de défis à relever.

Pour être efficace, une politique de santé publique ambitieuse se doit de réfléchir à une meilleure articulation entre l'hôpital et les acteurs de santé du territoire, comme le champ médico-social, ou la médecine de ville. Elle se doit de développer également des actions de prévention, de dépistage, de suivi "personnalisé" des patients à risque. Enfin, à l'heure où l'accroissement des inégalités fragilise notre société, plus que jamais, l'indispensable égalité d'accès aux soins doit être au cœur d'une nouvelle politique de santé.

Bien que fondamentales, ces questions d'avenir sont éclipsées par une brutale politique de mise à mal de l'hôpital public.

On savait déjà l'hôpital public en danger. Dès 2008, dans le contexte du vote de la loi Bachelot, des mouvements réunissant professionnels et personnalités reconnues (comme Sauvons l'hôpital, ou le Mouvement de défense de l'hôpital public) avaient largement relayé et commenté les dangers qui menacent l'hôpital : logiques de rentabilité, gouvernance défaillante, installation d'une médecine à plusieurs vitesses, découragement des personnels, etc.

Aujourd'hui, on assiste à son démantèlement. A titre d'exemple, dans nos quartiers du centre de Paris, la directrice de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) a décidé le transfert des bureaux administratifs du siège de l'AP-HP vers l'Hôtel-Dieu, fermant ainsi presque tous les services de soin de l'hôpital, bien desservi par un important réseau de communication et donc très accessible. Remplacer des services médicaux par des bureaux ne repose que sur une seule logique, avouée par la direction, vendre les immeubles libérés par le siège, situés en face de l'Hôtel de Ville de Paris, et ainsi réaliser une juteuse opération de spéculation immobilière, susceptible de combler très partiellement le déficit de l'AP-HP .

Cette décision traduit une double crise :

Une crise d'identité. Voilà qu'une politique immobilière fait office de politique de santé. Ainsi, comment qualifier une politique de santé qui ferme des services de soin pour y installer des bureaux ? Comment qualifier une politique de court terme fondée sur la spéculation immobilière, avec pour unique logique celle de la rentabilité ?

Une crise de la gouvernance. Au travers de sa décision unilatérale qui condamne à terme l'Hôtel-Dieu sans aucune information préalable ni concertation, la direction de l'AP-HP, sous les ordres du ministère de la santé, illustre parfaitement cette politique systématique de mépris menée par l'actuel gouvernement. Après les enseignants et les juges, le personnel hospitalier est traité sans aucune considération. A ce titre, en évinçant les élus des commissions de surveillance des hôpitaux, la loi Bachelot avait préalablement scellé la coupure entre la vie citoyenne et la santé publique, interdisant tout regard des citoyens sur leur système de santé, laissant aux techniciens, voire aux technocrates le “soin” de conduire des réformes étrangères aux besoins des populations.

Cette crise n'est pas spécifiquement celle de l'Hôtel-Dieu, car tout un système se trouve menacé. Ce qui affecte aujourd'hui l'Hôtel-Dieu n'est que la déclinaison locale d'une voie ouverte à la privatisation du système de santé. Au sein de l'AP-HP, d'autres hôpitaux sont menacés de fermeture, Tenon dans le XXe arrondissement, Antoine Béclère à Clamart, et de nombreux services partout sur Paris. L'égalité d'accès aux soins prend un mauvais coup. La suite, nous la connaissons, il suffit d'observer certains "exemples" étrangers : faute de pouvoir se faire soigner dans une structure publique près de chez soi, les habitants vont devoir se tourner vers les cliniques et assureurs privés. Bref, se dessine une médecine de confort pour ceux qui ont les moyens, pour les autres la vétusté de l'hôpital public.

L'Hôtel-Dieu, fut récemment promoteur d'une réflexion sur les mutations sanitaires et sociales, porteur d'un projet pour le système de santé de demain, fondé sur les urgences, l'ambulatoire et un hôpital universitaire de santé publique. L'AP- HP, qui voulait en faire "l'hôpital de santé publique de demain", "le symbole de l'innovation et de l'ambition en matière de santé", dixit son ancien directeur général, n'a rien trouvé de mieux à faire que programmer sa fermeture, pour réaliser une opération de spéculation immobilière. Cela illustre parfaitement une société où l'argent est roi, et où l'humain n'est plus au cœur des politiques. Triste avenir pour les générations futures.

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