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mardi 12 janvier 2010

Une méthode pour le principe de précaution

ni éloge ni opprobre. La campagne de lutte contre la grippe A (H1N1) ne vaut ni l'excès de louanges que le gouvernement n'attend d'ailleurs plus, ni le flot de critiques déversées par l'opposition aux premiers jours de l'année. En matière de protection des populations civiles, la précaution n'est pas qu'un principe d'action dicté par un devoir éthique, c'est devenu une obligation politique au sens judiciaire du terme. Et cela, depuis que, dans l'affaire du sang contaminé, les juges judiciaire et administratif ont édicté une obligation d'agir face à une présomption de risque.

Quoiqu'elle se soit développée après la première bataille - une deuxième vague virale reste attendue -, cette polémique n'aura peut-être pas été inutile.

Certes, elle s'est focalisée autour de trois grands choix stratégiques qui ont été moins radicaux qu'on ne l'a dit. Le premier a été celui de la vaccination dite « massive », qui aurait été une spécificité française. En réalité, la France s'est surtout conformée à peu de chose près à la stratégie vaccinale établie le 7 juillet par l'OMS, qui recommandait des vaccinations par ordre de priorité : agents de soins de santé, femmes enceintes, nourrissons de plus de six mois et entourage de ceux de moins de six mois, sujets présentant des facteurs de risque…

Le deuxième grand choix a été celui de pratiquer une double injection, choix atypique en matière de couverture grippale, où une injection suffit en général, mais liée à la « longueur » attendue de l'épidémie. Le 7 septembre, le Haut Conseil de la santé publique a validé cette option. Ce n'est que le 28 octobre et, surtout, le 3 décembre à la suite d'un avis de l'Agence européenne du médicament, que les posologies vaccinales ont été actualisées pour chaque catégorie de population, le plus généralement à une seule administration. De ce point de vue, les autorités sanitaires n'ont donc pas fait preuve d'un excès de zèle particulier.

La troisième option, la plus critiquée peut-être, a été celle du recours à une organisation du type « hôpitaux de campagne ». Député socialiste spécialiste des questions de santé, Jean-Marie Le Guen parle d'une « gestion préfectorale ». lI est vrai que, dès le début, le ministère de l'Intérieur a pris une place prépondérante dans la gestion de la crise. Mais, bien loin cependant de la logistique quasi militaire qui avait été prévue, voilà cinq ans, pour faire face au virus de la grippe aviaire, le H5N1, bien plus létal. Toujours activable, celle-ci prévoit, notamment de vacciner les personnes en fonction de leur importance dans la société. Ce n'est pas le schéma qui a été retenu.

Les vraies leçons de l'« affaire » de la grippe A (H1N1) sont ailleurs. L'incompréhension manifeste de l'opinion à l'égard de la manière dont a été mise en oeuvre, cette fois, le principe de précaution révèle une lacune dans la méthodologie. Celle-ci n'a été ni suffisamment expliquée ni sans doute assez formalisée. Le principe de précaution ne doit être activé qu'après une solide évaluation scientifique, avec une pondération des moyens mis en oeuvre et dans la confrontation des points de vue.

« Le principe d'évaluation précède l'obligation de précaution », rappelle Didier Tabuteau, conseiller d'Etat et ancien directeur et fondateur de l'Agence du médicament, dans un récent article, très documenté, publié dans la revue « Risques & Qualité » (2009, vol. VI, n° 4). Face à la pandémie de grippe A (H1N1), l'analyse des risques a, d'abord, essentiellement reposé sur les avis de l'OMS, dont la communication alarmiste a contribué à créer une panique mondiale. Jusqu'à l'été, le pouvoir politique, en France, a également été sous la pression d'évaluations prématurées exprimées dans la presse par des virologues réputés, alimentant la crainte de voir se matérialiser cette première grande pandémie contemporaine si souvent annoncée, jamais concrétisée. A tout le moins, la saisine du HCSP, ou d'un organisme formé de scientifiques indépendants, pourrait-elle intervenir à un stade précoce de détection du risque.

La proportionnalité des dispositifs mis en oeuvre devrait, elle aussi, être consubstantielle au principe de précaution, lequel, souligne encore Didier Tabuteau, « n'impose pas de mobiliser tous les moyens possibles pour faire face à un risque ». Aujourd'hui, au ministère de la Santé, l'on concède que, en pareille situation, la décision ne serait plus de passer une commande ferme de 94 millions de doses, mais une première commande ferme de la moitié et une option sur la deuxième. Si elle n'avait pas été exclue cette fois pour cause de vaccins multidoses, la mobilisation des médecins de ville en premier recours participerait d'une réponse pondérée à la menace.

La confrontation publique des avis médicaux et des points de vue politiques devient une condition de l'adhésion des populations aux consignes sanitaires. « Pour adhérer, les gens ont besoin de voir qu'il y a pluralité d'opinions ; la vérité ex cathedra, cela ne fonctionne plus », explique à juste titre Jean-Marie Le Guen. La confrontation scientifique et poli-tique « est une condition de la confiance », observe aussi Didier Tabuteau. Le risque ne restaure pas l'argument d'autorité. L'impératif de sécurité sanitaire n'est plus catégorique : il n'échappe pas à la loi de défiance de la société à l'égard de la parole politique.

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