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samedi 12 décembre 2009

Bioéthique : six questions de société



Faut-il autoriser la gestation pour autrui ?

L'état des lieux. En 1994, les lois de bioéthique ont interdit la pratique des mères porteuses. "Toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d'autrui est nulle", précise le code civil. De plus en plus de couples français partent à l'étranger pour échapper à cette interdiction : selon les associations, plusieurs dizaines d'enfants français naissent tous les ans d'une mère porteuse en Californie, au Canada ou en Ukraine.

Une fois sur le territoire français, leur filiation ne peut être reconnue : aux yeux de la loi française, la mère est la femme qui accouche, non celle qui a conçu le projet de gestation pour autrui. Les parents ne peuvent donc inscrire leur enfant sur leur livret de famille et obtenir des actes de naissance à leurs noms. Ces enfants deviennent ainsi des "sans-papiers", selon le mot de la secrétaire d'Etat à la famille, Nadine Morano.

Pour mettre fin à ces difficultés d'état civil, mais aussi offrir une solution aux femmes privées d'utérus, un groupe de travail du Sénat, présidé par Michèle André (PS), a proposé, en décembre 2008, d'autoriser la pratique des mères porteuses. "Correctement encadrée, elle peut être un don réfléchi et limité dans le temps d'une partie de soi", estimait alors le rapporteur Alain Milon (UMP).

A l'étranger. L'Allemagne, l'Espagne, l'Italie et la Suisse interdisent la pratique des mères porteuses. En revanche, les Pays-Bas et le Royaume-Uni l'autorisent à certaines conditions. Depuis 1985, le Royaume-Uni réserve ainsi cette pratique aux couples dont les femmes sont infertiles et admet, pour la mère porteuse, un remboursement "raisonnable" des frais de grossesse. Les tribunaux acceptent en général le versement d'une somme comprise entre 5 000 et 10 000 euros.

Au Canada, une loi fédérale de 2004 autorise la gestation pour autrui à condition que les conventions soient conclues à titre gratuit. Les pratiques diffèrent d'un Etat à l'autre, mais les enfants nés dans ce cadre sont rares : selon une étude du Sénat français, IVF Canada, l'une des plus importantes cliniques de fécondation in vitro du pays, signalait à la fin des années 1990 cinq ou six cas par an. Aux Etats-Unis, chaque Etat applique ses propres règles : moins d'une dizaine - dont la Californie et l'IIlinois - reconnaissent la gestation pour autrui.

La controverse. Pour ses détracteurs, la gestation pour autrui aboutit à la commercialisation du corps des femmes. "Comment imaginer que la démarche consistant à porter un enfant pour une autre femme puisse être un acte gratuit ?" demande la ministre de la santé, Roselyne Bachelot. Dans une pétition lancée en avril, la philosophe Sylviane Agacinski, la Prix Nobel de médecine Françoise Barré-Sinoussi, l'actrice Carole Bouquet, le neuropsychiatre Boris Cyrulnik, le gynécologue René Frydman affirment ainsi que la mère porteuse est "dans la quasi-totalité des cas d'un milieu socio-économique et culturel défavorisé par rapport à celui du couple demandeur".

Pour ses partisans - la philosophe Elisabeth Badinter, le médecin François Olivennes, la psychanalyste Geneviève Delaisi de Parseval -, la gestation pour autrui permet de répondre à la seule stérilité qui reste aujourd'hui sans solution, celles des femmes qui ne peuvent porter des enfants. A leurs yeux, le geste de la mère porteuse est un don, pas un abandon. "La "gestatrice" sait - et c'est évidemment le plus important - que le bébé sera bien accueilli : elle connaît les "parents d'intention", avec lesquels elle a des liens qui se poursuivent souvent bien après l'accouchement", souligne la psychanalyste Geneviève Delaisi de Parseval.

Anne Chemin

Etendre l'aide médicale à la procréation ?

L'état des lieux. L'assistance médicale à la procréation (AMP) regroupe les techniques permettant la procréation en dehors du processus naturel, comme l'insémination artificielle et la fécondation in vitro. Destinée à lutter contre l'infertilité, elle est réservée aux couples hétérosexuels "en âge de procréer", mariés ou faisant la preuve de deux ans de vie commune. Ainsi conçue, cette pratique n'a pas pour objet de créer un modèle alternatif à la procréation, mais de pallier l'infertilité. Les associations font valoir que nombre de couples homosexuels ou de femmes célibataires partent à l'étranger pour bénéficier des techniques d'AMP.

A l'étranger. Comme la France, l'Allemagne, l'Italie et la Suisse réservent l'aide médicale à la procréation aux couples hétérosexuels. En revanche, la Grande-Bretagne, la Grèce, l'Espagne, la Belgique, les Pays-Bas, la Finlande, le Danemark, les Etats-Unis et le Canada permettent aux femmes seules et aux couples d'homosexuelles d'en bénéficier.

La controverse. L'Association des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL) plaide en faveur de la reconnaissance de l'homoparentalité, qui suppose l'accès des couples de lesbiennes à l'insémination artificielle avec donneur. L'APGL souligne que les études menées aux Etats-Unis et en Europe montrent que les enfants élevés par des couples homosexuels vont aussi bien que les autres.

Cette demande est loin de faire consensus en France. L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) juge que "les techniques d'AMP étant lourdes, difficiles à mettre en œuvre, elles doivent être réservées aux stérilités médicalement avérées". L'Opecst estime toutefois possible d'ouvrir l'AMP aux "femmes célibataires médicalement infertiles" et affirme qu'il convient de "mener un débat approfondi" sur l'accès des couples homosexuels.

Cette position n'est pas partagée par le Conseil d'Etat. Affirmant privilégier "l'intérêt de l'enfant""Il s'agirait de créer délibérément un enfant sans père, ce qui ne peut être considéré comme l'intérêt de l'enfant à naître." De manière générale, le Conseil d'Etat a estimé qu'il convient de maintenir la vocation de l'AMP, qui est de remédier à l'infertilité d'un couple formé d'un homme et d'une femme. Il s'oppose à l'idée de "créer un modèle alternatif à la procréation". et non le projet parental, il rejette l'idée d'ouvrir l'aide à la procréation aux femmes homosexuelles :

Cécile Prieur

Lever l'anonymat des dons de gamètes ?

L'état des lieux. En France, les dons de sperme ou d'ovocytes utilisés lors d'une assistance médicale à la procréation (AMP) sont anonymes : le donneur ignore qui est né de son don et l'enfant ignore de quel don il est né. Cette règle, calquée sur celle qui régit le don du sang, a pour but d'éviter les transactions commerciales et les arrangements privés. Dans un avis rendu en 2005, le Comité consultatif national d'éthique affirme que l'anonymat garantit la "dignité de la personne humaine".

Depuis quelques années, des praticiens de l'AMP ainsi que des associations d'enfants nés d'un don contestent cependant cet anonymat au nom du droit à l'accès aux origines. Ils ne considèrent pas les donneurs comme des"parents" , mais ils estiment que celui ou celle qui a fait un don doit trouver une place dans l'histoire de l'enfant. En mai, dans un avis sur les lois de bioéthique, le Conseil d'Etat a proposé de lever l'anonymat "si l'enfant le demande et si le donneur y consent".

A l'étranger. Au cours des vingt dernières années, le débat sur le droit à l'accès aux origines a conduit de nombreux pays européens à abandonner le principe de l'anonymat des dons de gamètes. La Suède a été la première à y renoncer, en 1984 : elle a autorisé les enfants nés d'un don de sperme à connaître l'identité de leur donneur. Lorsque les dons d'ovocytes ont été légalisés, en 2003, elle a accordé le même droit aux enfants nés de cette nouvelle technique d'assistance à la procréation.

En 1992, la Suisse a consacré le droit d'accès "aux données relatives à son ascendance" dans la Constitution fédérale et la même année, l'Autriche a levé l'anonymat sur les dons de sperme. Ils ont été suivis en 2003 par la Norvège, en 2004 par les Pays-Bas et la Nouvelle-Zélande, en 2005 par le Royaume-Uni, en 2006 par la Finlande et en 2007 par la Belgique. "La tendance à la levée de l'anonymat, partielle ou totale, est nette", constatait en mai le Conseil d'Etat.

La controverse. Les partisans de l'anonymat insistent sur le fait que l'homme et la femme qui ont sollicité l'assistance médicale à la procréation sont les seuls vrais parents de l'enfant : à leurs yeux, l'anonymat sert avant tout à protéger les parents légaux. Certains praticiens craignent en outre que la levée de l'anonymat finisse par dissuader les donneurs de sperme et d'ovocytes qui sont trop peu nombreux (moins de 500 en 2006).

Les partisans de la levée de l'anonymat soulignent, eux, que ce silence "prive l'enfant d'une dimension de son histoire", selon les mots du Conseil d'Etat. Il n'est pas question, soulignent-ils, de faire des donneurs des parents, mais de permettre aux enfants qui le souhaitent de rencontrer un jour leur donneur. Non pour trouver le secret de leur identité, mais "afin de vérifier qu'ils ont été engendrés, inscrits dans une lignée humaine et non pas fabriqués comme des objets", écrit la philosophe Sylviane Agacinski dans son livre Corps en miettes (Flammarion, 138 p., 12 euros).

Anne Chemin

Mieux encadrer l'accès aux tests génétiques ?

L'état des lieux. Les progrès dans l'exploration du génome humain ont fait se multiplier les possibilités de tests génétiques : plus de 1 000 maladies héréditaires peuvent faire l'objet d'un test diagnostique et un programme de dépistage néonatal existe en France pour cinqmaladies génétiques. Les tests permettent de confirmer une maladie, de la détecter avant qu'elle apparaisse ou d'estimer sa probabilité. Ils permettent aussi de détecter chez une personne le risque de transmettre une anomalie génétique à sa descendance.

En France, l'utilisation des tests génétiques demeure réservée à des fins médicales ou judiciaires (recherche en paternité). Les tests médicaux sont pratiqués dans le cadre des consultations de conseil génétique : ils sont prescrits par des médecins spécialement autorisés, à qui il revient d'informer leur patient du résultat et de sa signification.

Des tests génétiques sont accessibles sur Internet, proposés par des sociétés hors Union européenne. Certains sont validés et ont un fort pouvoir de pronostic (comme les tests de prédisposition aux cancers du sein et de l'ovaire), d'autres ont une finalité médicale mais ne sont pas validés, d'autres enfin n'ont aucune finalité médicale. C'est le cas des tests qui prétendent déterminer les origines"ethniques" des personnes.

A l'étranger. La plupart des Etats disposent d'une législation en matière de tests génétiques à travers le droit des malades, la protection des données, le droit des assurances ou du travail. C'est le cas de l'Allemagne, de l'Autriche, du Danemark, de l'Espagne, du Portugal, du Royaume-Uni ou de la Suisse. L'Agence de biomédecine française souligne cependant qu'aucun pays ne dispose d'un "cadre juridique complet couvrant l'accès aux tests, les conditions de prescription, de réalisation, d'utilisation des examens et des résultats, et de protection des individus".

La controverse. La pratique des tests génétiques dans le cadre médical soulève la question de l'information des parents qui seraient concernés par ces résultats. La loi actuelle est claire : le patient est maître de l'information médicale le concernant et reste libre de la transmettre ou non à sa famille. En 2004, le législateur a prévu une "procédure d'information médicale à caractère familial", qui permet au patient de transférer aux médecins la responsabilité d'informer ses proches. L'Agence de la biomédecine suggère de revoir cette procédure qu'elle considère "inapplicable en l'état".

En ce qui concerne les tests sur Internet, l'ensemble des instances consultées dans le cadre de la révision des lois de bioéthique réclame un cadre propice à limiter les dérives éthiques (transmission des informations à l'employeur ou aux assurances, discrimination potentielle...) L'Agence de la biomédecine souligne "l'urgence d'une concertation internationale" sur le sujet. L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) souhaite des mises en garde claires du public. Le Conseil d'Etat suggère, au moins pour certains tests génétiques, un régime d'autorisation de mise sur le marché, analogue à celui des médicaments.

Paul Benkimoun


Autoriser la recherche sur les cellules souches ?

L'état des lieux. Les cellules souches embryonnaires (ES) peuvent produire des cellules de n'importe quel tissu de l'organisme. Aux yeux des chercheurs, elles présentent un grand intérêt, notamment dans le traitement potentiel des maladies neurodégénératives. Le prélèvement de cellules souches est effectué sur un embryon au stade blastocyste (5e-6ejour), qui est ensuite détruit.

Ce type de recherche a été interdit, en 1994, au nom de la protection de la vie. Dix ans plus tard, le législateur a confirmé cette interdiction en l'assortissant cependant, pendant cinq ans, de dérogations dans des conditions très strictes. Entre 2005 et 2008, 30 équipes ont ainsi été autorisées à pratiquer ces recherches par l'Agence de la biomédecine.

A l'étranger. En Europe, la Grande-Bretagne, la Belgique, l'Espagne et la Suède autorisent la recherche sur l'embryon, ainsi que la création d'embryons à des fins de recherche. A l'inverse, l'Allemagne, la Lituanie, la Norvège, la Pologne et la Slovaquie ont adopté un régime d'interdiction totale. La législation des autres pays européens permet des recherches sur l'embryon et les lignes de cellules souches embryonnaires. Aux Etats-Unis, l'administration Bush avait interdit que ces recherches soient financées par des fonds fédéraux, mais elles demeuraient possibles dans le secteur privé. L'administration Obama a levé l'interdiction fédérale.

La controverse. La procédure de prélèvement de cellules ES implique la destruction de l'embryon. Pour cette raison, l'utilisation de ces cellules issues d'embryons conçus dans le cadre de l'assistance médicale à la procréation et, a fortiori d'embryons créés à cette seule fin, a toujours été rejetée par l'Eglise catholique.

Un consensus scientifique semble toutefois émerger pour appeler à une levée de l'interdiction de la recherche sur les cellules souches, au vu de leur potentialité médicale. Le Conseil d'Etat a rejoint cette position en préconisant "un régime permanent d'autorisation enserré dans des conditions strictes". La ministre de la santé, Roselyne Bachelot, s'est exprimée, a contrario, en faveur du maintien du régime juridique actuel.

Paul Benkimoun


Etendre le diagnostic préimplantatoire ?

L'état des lieux. Autorisé depuis 1994, le diagnostic préimplantatoire (DPI) concerne les familles touchées par une "une maladie génétique d'une particulière gravité reconnue comme incurable", en leur permettant d'avoir un enfant exempt de cette maladie. Il consiste, lors d'une fécondation in vitro, à n'implanter dans l'utérus de la mère que les embryons dépourvus de l'anomalie génétique recherchée. Le criblage génétique, qui consiste à rechercher toutes les formes d'anomalies, est interdit. En France, les trois centres agréés pratiquant le DPI ont examiné 342 demandes en 2006 : 77 ont été refusées, 267 cycles d'assistance médicale à la procréation ont débuté qui ont permis la naissance de 46 enfants.

A l'étranger. L'Autriche, l'Allemagne, l'Italie et la Suisse interdisent le DPI, mais la plupart des pays occidentaux l'autorisent et ce de façon plutôt libérale. En Belgique, le DPI est pratiqué sans critères de gravité ou d'incurabilité de la maladie. Le criblage génétique y est pratiqué, comme au Royaume-Uni. Le choix du sexe de l'enfant est interdit par la plupart des pays sauf aux Etats-Unis, où certains centres d'aide à la procréation le proposent. Il est également autorisé en Israël quand un couple a donné naissance à quatre enfants du même sexe.

La controverse. La loi française ne définissant pas strictement les pathologies concernées par le DPI, des équipes médicales ont utilisé cette technique, en 2008, pour éviter des prédispositions génétiques à certains cancers. Ces initiatives ont fait craindre une "dérive eugénique" du fait d'une extension progressive des maladies qui pourraient ainsi être évitées (cancer, diabète, autres). Pour s'en prémunir, l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) recommande de dresser une liste de "maladies d'une particulière gravité" qui ouvriraient la voie au DPI. Pour le Conseil d'Etat, au contraire, la loi actuelle offre "déjà de sérieuses garanties". La haute juridiction considère qu'il faut laisser aux équipes médicales la liberté d'apprécier la notion de "particulière gravité" d'une pathologie.

1 commentaire:

  1. Il est dit : "Les pratiques diffèrent d'un Etat à l'autre, mais les enfants nés dans ce cadre sont rares : selon une étude du Sénat français, IVF Canada, l'une des plus importantes cliniques de fécondation in vitro du pays, signalait à la fin des années 1990 cinq ou six cas par an."

    Les statistiques canadiennes sont émises chaque années par le Canadian Assisted Reproductive Technologies Register (CARTR) et diffusées par des revues internationales comme Fertility and Sterility. Pour l'année 2006, il y a eu 123 cycles de gestation pour autrui au Canada qui se sont traduits par la naissance de 47 enfants (http://claradoc.gpa.free.fr/doc/223.pdf). C'est le dire le niveau d'ignorance catastrophique de nos parlementaires et la médiocrité du débat actuel. Et cet exemple n'est pas le seul. Nul part est mentionnée la législation grecque qui autorise et encadre la GPA et qui est reconnue par les spécialistes comme la plus pertinentes. Ces mêmes spécialistes vous parleront aussi des 33 états des USA où la GPA est légale et pratiquée (et non pas 10 !) ou encore de pays comme l'Australie, la Nouvelle-Zélande,...

    Est-ce vraiment de l'incompétence ou de la basse mauvaise-foi ?

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