
Claude Hannoun : Il est clair que globalement c'est une épidémie qui provoque des formes cliniques légères. Cependant, plusieurs éléments sont à considérer : d'abord, la saison du début de l'épidémie n'est pas une saison habituelle pour la grippe. Lorsque celle-ci arrivera dans l'hémisphère Nord, il faudra suivre avec attention son activité au début des mois d'automne.
Autre point : on a remarqué une forte proportion de cas graves qui ne se retrouvent pas dans la grippe saisonnière. Il s'agit de pneumonies primitives ou de complications d'états pathologiques préexistants. Enfin, les femmes enceintes figurent en proportion anormalement élevée dans la liste des victimes.
Angus : Comment distinguer entre la grippe saisonnière et grippe A ? Un test en laboratoire est-il nécessaire, voire obligatoire ?
Claude Hannoun : Malheureusement, il n'est pas possible de distinguer sur les signes cliniques une grippe saisonnière d'une grippe causée par le virus mexicain. Au cours d'une épidémie, un virus chasse l'autre dans la plupart des cas.
Autrement dit, lorsque l'épidémie de H1N1 mexicaine aura commencé, il est vraisemblable que la majorité des cas sera due à ce virus, l'autre pouvant reprendre éventuellement un peu plus tard.
Les examens de diagnostic sont délicats et coûteux, il ne peut pas être envisagé de les pratiquer sur chaque cas. On utilise d'habitude un échantillon, qui permet de faire un diagnostic global de l'épidémie.
Damien : Au niveau de la vaccination, qu'est-ce qui distingue la grippe A de la grippe saisonnière, contre laquelle un vaccin – a priori efficace et sûr – est mis au point chaque année ?
Claude Hannoun : Vous parlez de grippe A, j'aime mieux parler de "grippe mexicaine", au risque de froisser les amis mexicains, parce que deux des virus de grippe saisonnière sont des grippes A, et l'un d'entre eux est même un virus H1N1, mais différent du H1N1 mexicain.
Le virus H1N1 mexicain appartient à la même famille que le H1N1 saisonnier, mais il en est distinct et l'immunité apportée par ce dernier est peu efficace ou pas efficace contre le premier.
C'est pourquoi la vaccination avec le vaccin saisonnier n'apporte pas une immunité suffisante. Sauf si les études encore en cours démontraient que les personnes les plus âgées peuvent bénéficier, avec le vaccin saisonnier, d'un rappel qui pourrait être efficace contre le H1N1 mexicain.
kouloulou : Qu'en est-il réellement du taux de mortalité de la grippe A, en comparaison avec celui de la grippe saisonnière ?
Claude Hannoun : Le taux de mortalité pour la grippe mexicaine ne peut pas être déterminé avec précision, car si nous connaissons à peu près bien le nombre des morts, nous ne connaissons pas le nombre des sujets infectés.
Pour les pandémies du passé, le taux de létalité [mortalité chez les sujets infectés] était de l'ordre de 25 pour 1 000. En revanche, au cours des épidémies saisonnières, ce même taux est à 1 pour 1 000.
Etant donné la grande contagiosité du virus actuel, on peut prévoir que le nombre des cas sera très élevé, et que par conséquent, même avec une létalité relativement faible, le nombre des cas graves et des morts en valeur absolue sera supérieur à celui d'une épidémie saisonnière.
Et l'évolution de l'épidémie peut être plus grave.
Prion: Au regard de la faible mortalité et des formes cliniques non graves, est-il normal de vacciner en masse une population quand d'autres maladies telles que la fièvre jaune, la malaria, le paludisme provoquent de plus fortes complications, pour lesquelles l'effort de vaccin est moindre ? Le vaccin en masse n'est-il pas un simple enjeu économique pour les laboratoires afin d'augmenter leurs marges ?
Claude Hannoun : La possibilité d'une pandémie sévère ne peut pas être exclue. Il est donc légitime de prendre les dispositions aussi efficaces que possible pour en empêcher les effets les plus sévères.
C'est pourquoi un plan pandémique a été mis en place. Il aurait été difficile de ne rien faire, ce qui aurait été certainement reproché dans le cas où la pandémie serait survenue.
Evidemment, si la pandémie reste très bénigne, ces précautions auront été inutiles. C'est une situation habituelle dans le cas des assurances variées contre l'incendie ou le vol.
Une épidémie saisonnière bénigne coûte environ à la collectivité 1 à 2 milliards d'euros. Si elle est plus forte, le coût est multiplié par 2 ou par 5. En cas de pandémie, les coûts sont considérables et sont difficiles à évaluer à l'avance.
C'est en face de ces chiffres qu'il faut mettre celui des mesures de précaution.
D'autre part, les mesures prévues par le plan auraient aussi pour effet, en cas de pandémie, de réduire le nombre des décès.
Enfin, sommes-nous bien sûrs que si ces sommes n'avaient pas été affectées à ce programme, elles auraient été utilisées pour des opérations humanitaires ?
vincent : Faut-il vacciner les personnes âgées avec les deux vaccins ?
Claude Hannoun : La réponse est très claire en ce qui concerne la vaccination saisonnière : elle est tout à fait recommandée aux personnes âgées dès maintenant, comme d'habitude.
En ce qui concerne la grippe mexicaine, il sera certainement utile de faire au moins une vaccination pour ce groupe de sujets, qui ont peut-être déjà une mémoire immunologique spécifique de ce virus. Nous en saurons plus dans quelques semaines, à la fin des essais en cours.
Pour les personnes jeunes, rien pour l'instant ne permet de se contenter d'une injection unique. Mais cela également pourra être remis en question selon les circonstances.
Claire : Faut-il s'inquiéter d'un vaccin administré en masse pour lequel les formalités de mise sur le marché ont été écourtées ?
Arnaud : Connaissons-nous les effets secondaires de la vaccination contre la grippe ?
Claude Hannoun : Pour répondre à la première question, la mise en fabrication de ce vaccin a été réalisée selon les mêmes procédés que le vaccin saisonnier. Aucune différence technique n'a été apportée, seule la souche est différente.
Ceci n'est pas vrai pour l'un des vaccins proposés, qui est fabriqué sur cultures cellulaires. Cette méthode est à l'étude depuis longtemps, elle a fait l'objet d'essais qui ont été validés par les autorités internationales et nationales.
Pour les vaccins préparés sur embryons de poulet, les procédures de mise sur le marché ont utilisé le même principe que pour les vaccins saisonniers : avenant à l'autorisation de mise sur le marché mentionnant le remplacement d'une souche par une autre.
On ne peut donc pas penser que les procédures ont été abusivement accélérées.
Les effets secondaires de la vaccination contre la grippe saisonnière sont rares, les uns correspondent à des réactions locales fugaces qui peuvent cependant être douloureuses ; les autres sont de nature plus générale (fièvre, malaise). Ils ne sont pas durables et n'entraînent pas de séquelles connues.
En ce qui concerne les vaccins contre la grippe mexicaine, une différence importante a été apportée pour renforcer le pouvoir immunogène. Il s'agit de l'adjonction d'adjuvants.
jpv: Avec ou sans adjuvant ?
Claude Hannoun : Pour une vaccination primaire (nouveau virus, absence d'immunité préexistante), on utilise d'habitude, chez les enfants par exemple, deux injections espacées de trois à quatre semaines. Ceci permet d'obtenir une réponse satisfaisante.
C'est également le cas avec la grippe mexicaine chez les sujets qui ne l'ont encore jamais rencontrée. Il est nécessaire dans ce cas d'utiliser un vaccin plus puissant, soit en augmentant la dose, soit plutôt en répétant l'injection.
L'utilisation de substances permettant de renforcer la réponse immunologique est une alternative très utile qui permet d'obtenir des résulats bien supérieurs même avec des doses de vaccin plus faibles.
L'avantage est double : la réponse est meilleure, plus durable, plus large, et on peut obtenir plus de vaccins avec la même quantité de virus produit sur œuf.
michelr : Comment le professeur Floret, président du Comité technique des vaccinations, peut-il dire que les adjuvants sont sans aucun danger alors qu'il existe des milliers d'études depuis 40 ans qui ont montré les effets secondaires graves de ces substances ?
Claude Hannoun : Je ne connais pas ces "milliers d'études". Je connais quelques observations de maladie survenue à la suite d'une vaccination, ce qui ne signifie pas que la vaccination en était la cause.
Je connais en revanche bon nombre d'études qui montrent que la vaccination, contre la grippe en particulier, réduit de façon impressionnante le nombre des cas sévères, le nombre des hospitalisations, le nombre des morts et le coût économique de la maladie.
Il reste le fait que lorsqu'on vaccine des millions de personnes, cela ne les empêchera pas de contracter dans les semaines ou les mois qui suivent des infections ou des maladies diverses qu'elles auraient de toute façon subies, même sans vaccination.
Hubert : Pourquoi continuer à utiliser comme adjuvant l'hydroxyde d'aluminium aujourd'hui, avec tous ces doutes planant sur ses effets à long terme (il serait très impliqué dans la multiplication des fibromyalgies, Parkinson, Alzheimer, etc.) ?
Claude Hannoun : Les vaccins contre la grippe saisonnière ou mexicaine ne contiennent pas d'aluminium.
truc37 : Qu'en est-il du squalène, utilisé dans certains des vaccins ?
Claude Hannoun : Le squalène est un lipide contenu dans beaucoup de produits naturels (7 g par litre dans l'huile d'olive). C'est un produit utilisé dans les médecines naturelles pour faire baisser le cholestérol. Il est utilisé sous forme d'une émulsion dans l'eau comme adjuvant.
Les vaccins qui le contiennent ont déjà été utilisés très largement (au moins 30 millions) pour combattre d'autres maladies sans que des effets nocifs se soient manifestés.
kouloulou : Pourquoi est-il conseillé d'utiliser un vaccin sans adjuvant pour les femmes enceintes ou les jeunes enfants? Cela signifie-t-il que les adjuvants comportent un risque? Quid du reste de la population alors?
Claude Hannoun : Les vaccins avec adjuvants provoquent un peu plus de réactions secondaires : rougeurs au point d'injection, fièvre fugace, etc. Par précaution, et en attendant plus d'informations sur les essais concernant ces vaccins dans des groupes particuliers, il est légitime d'utiliser des vaccins non adjuvés.
ninalou : Actuellement enceinte de cinq mois, je me pose des questions sur les risques éventuels pour le fœtus si je me fais vacciner. J'ai vu que le vaccin n'était pas conseillé pour les nourrissons de moins de six mois, alors comment être sûre qu'il n'y a aucun risque pour le fœtus ?
Claude Hannoun : Tous les essais menés sur les vaccins grippaux ont montré que la vaccination était sans danger pour les femmes enceintes à partir du troisième mois de la grossesse.
En revanche, il est bien établi qu'elles sont exposées à un risque accru en ce qui concerne la maladie grippale. Le bénéfice de la vaccination est bien clair dans leur cas.
A.N : Lorsque l'on est épileptique, il y a pas mal de contre-indications ! La vaccination peut-elle entraîner des effets secondaires indésirables ? Même question pour le Tamiflu.
Claude Hannoun : Le vaccin antigrippe est déconseillé pour les sujets atteints de maladie du système nerveux.
Il n'y a pas de données précises sur le type de risques encourus. Cette restriction est une simple mesure de précaution.
docteurdu16 : L'étude britannique de Mantagni analysant les essais cliniques publiés depuis dix ans et comparant morbidité et mortalité entre les périodes sans et avec grippe, a montré une réduction significative des admissions à l'hôpital pour détresse respiratoire aiguë (efficacité vaccinale 21 % ; mortalité respiratoire 23 %) mais pas d'efficacité sur la mortalité globale.
Claude Hannoun : Cette étude et d'autres analogues font encore l'objet de débats entre les spécialistes. Les méthodes statistiques utilisées sont complexes et sujettes à des différences d'interprétation. Cependant, la totalité des auteurs recommandent la poursuite de la politique de vaccination.
truc37 : On peut rappeler que la grippe est plus pourvoyeuse de syndrome de Guillain-Barré que la vaccination !
Claude Hannoun : Il est exact que dans l'épisode de 1976 (soupçons de grippe porcine aux Etats-Unis), l'implication de la vaccination dans l'augmentation du nombre des cas de SGB n'a pas été démontrée formellement.
En revanche, la maladie grippale est connue pour provoquer une augmentation significative du SGB.
Elie_Arie : Quelles sont les probabilités pour que les vaccins actuels restent efficaces en cas de modification (recombinaison) du virus? Et s'il n'y a pas de recombinaison, la vaccination peut-elle empêcher l'apparition d'une variante plus féroce ?
Claude Hannoun : Le rôle des vaccins pour favoriser la variation des virus est réel, mais il se manifeste lentement.
Il faut plusieurs années pour que le virus rencontre une barrière immunitaire suffisamment efficace pour que la sélection de mutants survienne.
La pression immunologique exercée par les anticorps des sujets vaccinés n'a d'effet sélectif que sur les variants antigéniques, et non sur les variants portant sur le pouvoir pathogène.
Il n'y a donc pas d'interférence entre ces deux fonctions.
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