
Depuis l'élaboration de la réforme, cette architecture inquiète les médecins qui y voient la prise de contrôle de l'administration sur le médical. Ils comptaient toutefois sur le débat à l'Assemblée nationale pour l'amender. Las, le gouvernement a refusé toute modification de son dispositif.
Adoptés lors de la première semaine de débat, des amendements présentés par le médecin hospitalier et député (UMP) Bernard Debré ont finalement été rejetés, à la demande du gouvernement, le dernier jour de la discussion, à 4 h 30, devant une Assemblée déserte... "C'est une action à la limite de la démocratie, dénonce le député Debré. Cette entourloupe a rendu tous les médecins furieux."
De fait, l'épisode a mis le feu aux poudres. D'habitude peu enclins au conflit, les présidents de CME, élus par leurs pairs, dénoncent aujourd'hui "une situation de blocage". Président de la Conférence des présidents de CME, le Lillois Alain Destée estime que "le patron à l'hôpital se mue aujourd'hui en petit chef qui pourra mettre et démettre les médecins à sa guise".
IMPÉRATIFS COMPTABLES
Les médecins sont d'autant plus choqués de se sentir marginalisés qu'ils ont jusqu'ici joué le jeu des précédentes réformes : "Ce qui nous révolte, c'est que nous avons porté la réforme Hôpital 2007, qui avait profondément rénové le fonctionnement hospitalier, dénonce Pierre Coriat, président de la CME de l'AP-HP. On casse un système qui fonctionnait bien pour passer à une gouvernance monocéphale, médicalement aveugle, sans garde-fous éthiques."
Les médecins pointent un risque d'isolement du directeur et de cristallisation des rapports de force dans les hôpitaux, qui vivent déjà sous tension en raison de graves déficits. "Aujourd'hui, c'est la communauté médicale qui fait passer les messages dans les services, pointe le professeur Destée. Demain, si le directeur se retrouve en première ligne, sans relais, on court à la catastrophe." "Un directeur seul n'a pas la possibilité de faire changer les choses à l'hôpital,Il a besoin, à ses côtés, d'un copilotage médical, sinon il va dans le mur." poursuit Bernard Descottes, président de la CME du CHU de Limoges.
Lesdirecteurs, eux, ne veulent rien lâcher, et dénoncent une polémique en forme de "faux problème". "Un directeur qui souhaiterait diriger un hôpital sans les médecins ou contre eux aurait une démarche suicidaire, explique Paul Castel, président de la Conférence des directeurs de CHU. Mais on ne peut être en situation de coresponsabilité, il faut un décideur et un seul à l'hôpital." Les directeurs font valoir que les postes de management ne leur sont plus exclusivement réservés. "Si les médecins veulent devenir directeurs, rien ne les en empêche, mais il faut bien que quelqu'un tranche quand la situation est bloquée", plaide Gérard Vincent, délégué général de la Fédération hospitalière de France (FHF).
Au ministère de la santé, on s'agace aussi de la fronde des médecins hospitaliers. "La réforme n'induit en rien une logique de caporalisation, fait-on valoir dans l'entourage de Mme Bachelot. Simplement, elle cherche à éviter les logiques de blocage qui empêchent l'hôpital de se réformer. Il est quand même étonnant d'opposer les gentils médecins aux méchants directeurs, comme si les médecins étaient les seuls garants d'une éthique de service public !" Le gouvernement semble décidé à ne pas céder sur le coeur de la réforme : le 13 mars, en déplacement à Clairefontaine (Yvelines), Nicolas Sarkozy a martelé qu'il ne se laisserait "pas prendre par des lobbies, soit des grands patrons, soit des tout petits patrons".
Si le gouvernement souhaite un management fort à l'hôpital, c'est notamment pour mener à bien l'objectif de résorption des déficits hospitaliers fixé pour 2012 par le président de la République. Or c'est justement cette volonté affichée de redressement financier qui inquiète les médecins. Ils pointent le risque que la vie de l'hôpital, déjà soumise aux critères médico-économiques avec la tarification à l'activité, ne soit plus dictée demain que par les seuls impératifs comptables.
"La contestation monte de toutes parts sur la réforme de l'hôpital, car il y a une prise de conscience que l'on va de plus en plus vers l'hôpital-entreprise", dénonce le diabétologue André Grimaldi. "La loi Bachelot procède d'une logique réductionniste, renchérit le neurologue Olivier Lyon-Caen. Derrière la façade du discours, il y a une volonté réelle d'appliquer le même fonctionnement que les cliniques privées, de mettre tout le monde au pas sur le modèle libéral."
Budget de crise pour l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) : le conseil d'administration de l'ensemble hospitalier devait adopter, vendredi 27 mars, un budget 2009 qui prévoit un déficit de 95,5 millions d'euros, soit 1,5 % de ses recettes. Pour contenir ses dépenses, l'AP-HP devra faire notamment "un effort sur les dépenses de personnel", à hauteur de 50,5 millions d'euros, qui se traduirait par la suppression de 700 équivalents temps-plein. Ces suppressions de postes se traduiront par un non-renouvellement de départs à la retraite ou de postes contractuels. Elles devraient concerner des personnels non médicaux, tandis qu'il y aurait du côté des personnels médicaux une augmentation de 53 postes équivalents temps-plein. La communauté médicale d'établissement (CME), qui représente les médecins, a décidé de voter le budget après un vif débat. Le maire socialiste de Paris, Bertrand Delanoë, a annoncé son intention de voter contre, estimant que "les contraintes budgétaires aujourd'hui imposées à l'AP-HP remettent en cause l'accès sans réserve à une médecine de qualité".
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