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vendredi 30 janvier 2009

Malades âgés à l'hôpital : la crise

«Il faut adapter l'hôpital au vieillissement de la population», insiste le D r Puiseux, gériatre. Photo Ludovic Maillard «Il faut adapter l'hôpital au vieillissement de la population», insiste le D r Puiseux, gériatre. Photo Ludovic Maillard

Les événements dramatiques qu'a connus l'hôpital public pendant les vacances de Noël ne posent pas tant la question de l'organisation des urgences que celle de la prise en charge des patients âgés, notamment. Explications.



FLORENCE TRAULLÉ > florence.traulle@nordeclair.fr
L e ton est grave. La situation l'est aussi. Autour de la table, Didier Delmotte, le directeur du CHR de Lille qui est également administrateur de la Fédération Hospitalière de France (FHF), et les patrons des services d'urgences, de pédiatrie, de réanimation, de gériatrie.
Tous ont pris en pleine figure les événements dramatiques de la période de Noël qui a vu la mort de deux enfants dans des hôpitaux de la région parisienne, et un débat - empoisonné par la dimension politique - après la mort d'un homme, victime de problèmes cardiaques, et dont il a été dit que, pris en charge par le SAMU, il avait tourné pendant six heures avant de trouver un service pour le prendre en charge. « Une période un peu difficile », résume Didier Delmotte. C'est un euphémisme.


Lundi, il était au ministère de la Santé, sous sa casquette FHF, pour faire le point sur ce qui a secoué l'hôpital public et l'opinion. Aucun commentaire sur les enquêtes en cours - des procédures pénales sont engagées - mais un constat : « Nous avons vécu un grand classique des périodes de vacances : moins de médecins libéraux en activité. En plus, deux grands ponts et, surtout, tous les hôpitaux de France ont dû faire face à l'arrivée aux urgences de davantage de personnes âgées, de plus de 75 ans. » Une hausse estimée à 15 % au niveau national comme dans la région. Et là, on est au coeur du problème. « Ce n'est pas un hasard si, au CHR de Lille, nous avons un pôle gériatrie au sein même des urgences. La gériatrie est devenue un problème de l'urgence », confirme le Dr Goldstein, patron du pôle urgences, qui met le doigt là où ça fait mal : « La prise en charge des personnes âgées est devenue un problème de santé publique. » C'est la vraie question aujourd'hui. Celle que les pouvoirs publics n'ont pas anticipée. Ou pas assez.

Adapter l'hôpital au vieillissement de la population
Pour le Dr Puiseux, responsable de la gériatrie au CHR de Lille, « la crise qu'on vit est révélatrice des difficultés de notre système de soins. Les patients très âgés arrivent dans nos services, fragilisés, souvent souffrant de plusieurs pathologies. Il faut adapter l'hôpital au vieillissement de la population ». L'antenne gériatrique au sein des urgences à Lille, la création d'une équipe mobile de gériatrie qui intervient dans tous les services du CHU témoignent d'une prise en compte du problème ici mais « il faut aller plus loin ». Et le D r Puiseux assène ce que tout le monde sait autour de cette table : « Le taux de remplissage dans les services de gériatrie en court séjour est de 98 % . » Résultat : « Nous sommes incapables de supporter des arrivées massives de patients. » La pyramide des âges étant ce qu'elle est -et la démographie médicale n'étant pas des plus réjouissantes pour l'hôpital public -, quelles pistes ces médecins et chefs de service envisagent-ils ? « En matière de santé, on a tendance à toujours avoir une guerre de retard », reconnaît Didier Delmotte. Si on progresse en matière d'hospitalisation à domicile et de coordination des différents intervenants du système de soins, il faut bien poser la question qui fâche. Celle des fermetures de lits dans les hôpitaux.

Garder des lits disponibles
Didier Delmotte est aussi un gestionnaire. Il ne remet pas en cause les fermetures de lits justifiées par l'évolution des pratiques médicales, les hospitalisations de plus en plus courtes (cinq jours en moyenne) mais « on peut penser que le balancier est allé trop loin. Il faut rouvrir, sur des périodes données (comme les vacances d'été, l'hiver) des lits polyvalents qui restent disponibles au cas où on en aurait besoin. Il faut de la souplesse et cela doit devenir une politique systématique ».
Et c'est là qu'on bute sur une autre vraie question : la tarification à l'activité qui est devenue la règle à l'hôpital. Pour faire simple : les budgets des hôpitaux dépendent de leur activité. Or, si on dégage des lits disponibles en prévision de situations de crise et qu'au final ils ne sont pas utilisés, comment seront-ils financés ? « Il faudrait que les ARH (Agences régionales de l'hospitalisation qui deviendront bientôt les Agences régionales de santé) garantissent la couverture financière de ce dispositif. » Une proposition qui a été faite à Roselyne Bachelot lundi. Qu'en pensera Nicolas Sarkozy qui a estimé, récemment, que l'hôpital n'avait pas besoin de plus de moyens mais d'une meilleure organisation ?

« À un moment, il faut faire des choix et on ne peut les faire seuls »

Le manque de lits de réanimation dans certains secteurs de la région accentue les difficultés mais, surtout, se posent de vraies questions éthiques. Les médecins, à juste titre, ne veulent pas être les seuls à y répondre. Les services de réanimation sont habitués à gérer les périodes de crise. Les pics hivernaux aggravés par les affections respiratoires, plus nombreuses dans notre région, ils connaissent. « Nous sommes capables d'utiliser les ressources en réanimation de la région », assure le Dr Mathieu, responsable du pôle gériatrie au CHR de Lille. Même s'il y a des manques dans certains secteurs de la région, même s'il faut parfois faire appel à la Belgique. Mais avec le vieillissement de la population, « le nombre de lits va devenir insuffisant ». Surtout que, les progrès de la médecine aidant, la prise en charge évolue. Des patients traités pour des pathologies lourdes, avec des traitements nouveaux, cela veut dire aussi des « gens fragilisés qui vont s'infecter rapidement ». Créer plus de lits de suite apporterait de la souplesse. Pouvoir mobiliser des lits de réanimation de façon transitoire aussi mais, derrière ces réponses techniques ou financières, c'est un vrai débat éthique qui se pose. « Comment répondre à la question des critères d'admission pour les personnes âgées ? Comment développer la pratique des directives anticipées qui permet de dire, par avance, si on souhaite être réanimé ou pas ? » interroge le Dr Mathieu. Alors qu'on sait que le vieillissement de la population et l'évolution technique de la médecine ne feront que renforcer le coût de la santé, osera-t-on porter le débat là où il doit l'être ? « Il y a des arbitrages à faire. Quelle importance accorde-t-on à certaines disciplines ? Comment travaille-t-on sur les maladies orphelines ? » questionne le Dr Rigot, vice-président de la CME (commission médicale d'établissement) du CHR de Lille. Il est d'accord avec Nicolas Sarkozy quand il dit qu'il faut améliorer l'organisation de l'hôpital « mais, à un moment, il faut faire des choix. On ne peut pas choisir nous-mêmes. Il faut dire ce qu'on fait vraiment ». Les médecins refusent d'être les seuls à répondre à ces questions éthiques. FL.T.

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